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... czarda ou fugue, pour ceux qui aimaient le beau travail de Danubius
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TRADUIT DU HONGROIS PAR MATHIAS KOLOS
« Un joli balcon donnait sur le Danube. Quand il ouvrait les fenêtres, une odeur d’acacia pénétrait dans la pièce. L’arbre se trouvait sur la promenade du fleuve, il était invalide. Une moitié avait été emportée par une bombe, l’autre était en fleur. Pour la deuxième fois dans l’année.
Il a regardé l’arbre et a du se réciter un aphorisme poétique quand sa femme, depuis son lit, l’a réprimandé, l’accusant de mal entamer la journée avec ses observations spirituelles. Ils se sont disputés. Il en a conclu qu’il était plus agréable d’être bucheron en Sibérie que de vivre avec une femme pareille.
L’acacia et le visage de sa femme lui sont revenus un million de fois, mais pas sa réponse. Il se rappelait le regard de sa femme, de l’étonnement et un peu de tristesse dans ses yeux, le son de sa voix et le mouvement de ses lèvres, mais les mots se sont envolés pour toujours par le balcon. Il avait des remords, pourquoi avait-il provoqué le destin ? S’il n’avait pas parlé de Sibérie, sa vie aurait été différente. Chaque détail de la journée est devenu décisif. Il a pleuré : pourquoi n’avait-il pas pressenti tout ce qui allait lui arriver ? »
Ce qu’il advint à l’auteur de ces lignes, en l’été 1945 : il est enlevé à Budapest alors qu’il se rend à une invitation de l’ambassadeur soviétique. Sa fonction de représentant de la Croix rouge hongroise ne le protège pas. Arrêté, condamné, déporté en Sibérie, il témoigne.
Né en Hongrie, il put fuir cette Europe fasciste où se préparaient toutes les monstruosités. Et c’est en Argentine que lui et son frère déposent leur brevet. Ils créent une société à Buenos Aires, où ils vendent les premiers stylos. La birome était née et présentée au monde... qui s’empressa de la copier.
Pour Pierre-Gilles de Gennes* il reste le "bricoleur génial de Budapest."
En France, ce n’est qu’en 1965 que le stylo bille fut autorisé dans les écoles. Une génération d’enfants, allait abandonner ses porte-plumes. Finis les encriers sournois qui se renversaient . Une véritable aubaine pour les plus maladroits. Les plus astucieux, eux, s’empressèrent de perfectionner l’invention des frères Biró. Ils démontèrent complétement leur stylo pour le transformer en sarabacane (fig.2).
Modestes, ils ne déposèrent aucun brevet. Ils n’en tirèrent d’autre profit que quelques heures de colle. Là, leurs instituteurs leur proposaient de saines distractions. Comme copier cent fois la même phrase... en utilisant l’objet du délit. Entièrement remonté (fig.1). La pointe bille retrouvait sa fonction première . Pour bombarder les salles de classe de minuscules boulettes de papier, comme pour remplir les pages de punitions gagnées à ce jeu, le stylo bille était devenu indispensable. Victoire totale.
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* Dans une conférence passionnante, où il analyse les tribulations des inventeurs. Le texte peut être consulté ici (en page 7 ).Pour les curieux : en hongrois stylo bille se dit golyóstoll.
Ce texte avait été publié en mai 2006 sur le site Tout sur Budapest .