samedi 6 septembre 2008

Áron Gábor* : Le cri de la taïga

a vra.

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TRADUIT DU HONGROIS PAR MATHIAS KOLOS


« Un joli balcon donnait sur le Danube. Quand il ouvrait les fenêtres, une odeur d’acacia pénétrait dans la pièce. L’arbre se trouvait sur la promenade du fleuve, il était invalide. Une moitié avait été emportée par une bombe, l’autre était en fleur. Pour la deuxième fois dans l’année.

Il a regardé l’arbre et a du se réciter un aphorisme poétique quand sa femme, depuis son lit, l’a réprimandé, l’accusant de mal entamer la journée avec ses observations spirituelles. Ils se sont disputés. Il en a conclu qu’il était plus agréable d’être bucheron en Sibérie que de vivre avec une femme pareille.

L’acacia et le visage de sa femme lui sont revenus un million de fois, mais pas sa réponse. Il se rappelait le regard de sa femme, de l’étonnement et un peu de tristesse dans ses yeux, le son de sa voix et le mouvement de ses lèvres, mais les mots se sont envolés pour toujours par le balcon. Il avait des remords, pourquoi avait-il provoqué le destin ? S’il n’avait pas parlé de Sibérie, sa vie aurait été différente. Chaque détail de la journée est devenu décisif. Il a pleuré : pourquoi n’avait-il pas pressenti tout ce qui allait lui arriver ? »


Ce qu’il advint à l’auteur de ces lignes, en l’été 1945 : il est enlevé à Budapest alors qu’il se rend à une invitation de l’ambassadeur soviétique. Sa fonction de représentant de la Croix rouge hongroise ne le protège pas. Arrêté, condamné, déporté en Sibérie, il témoigne.

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Le cri de la taïga ce sont trois livres plutôt qu’un seul. C’est ainsi que Gábor le publia, à compte d’auteur. Le découpage du texte en rend compte : A l’Est de l’homme La descente aux enfers Des hommes millénaires.Pour rendre perceptible son cheminement, du monde libre aux camps sibériens, Gábor utilise un procédé narratif singulier. Un récit à la troisième personne, où deux personnages dialoguent : le civil et forçat. Les deux faces d’un homme qui doit apprendre à survivre. Le passage d’une éducation et d’une vie raffinée à l’inhumanité du monde concentrationnaire.
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Mathias Kolos, le traducteur de ce texte a connu Áron Gábor. Interrogé sur ce choix de l’auteur, il répond : « Son cheminement intérieur, je ne sais pas... C’est une façon d’expliquer le plus précisement possible ce qui se passe dans la tête d’un être humain qui n’est absolument pas préparé, et qui tombe dans un traquenard pareil. Il y a souvent des envolées philosophiques, des dialogues, entre le civil et le forçat. Le civil c’est vous et moi. Le forçat lui est pragmatique, il faut survivre. Et il y a un troisième personnage de temps en temps qui surgit, c’est le journaliste. Le journaliste est une sorte d’arbitre entre les deux. »
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Journaliste, c’était le métier d’Áron Gábor. Et c’est un livre qui lui valut sa condamnation : Túl a Sztalin-vonalon (Au-delà de la ligne Staline). Des textes rédigés quand il fut envoyé sur le front comme correspondant de guerre.Roman, témoignage... Profondément humain. Au milieu de ce désastre, la Sibérie, décrite comme une terre aimée.


Après quarante ans d’oubli, ces lignes nous reviennent, traduites en français. A lire absolument.


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* A ne pas confondre avec le révolutionnaire du même nom, qui était son arrière-grand père. Né en 1814 en Transylvanie, il participa à la Révolution de 1848.
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Ce texte avait été publié en janvier 2006 sur le site Tout sur Budapest


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